L’impact XXL de la Route du Champagne en fête

« Je suis fier d’accueillir des Japonais dans mon petit village de l’Aube» : l’impact XXL de la Route du Champagne en fête

La Route du champagne en fête a attiré l’été dernier aux Riceys entre 25 000 et 35 000 visiteurs. Une affluence phénoménale pour un événement à fort impact médiatique mais aussi économique. On a rencontré Étienne Bertrand, le président de Cap’C, l’association qui organise, pour en parler…

Une marée humaine de 25 000 à 35 000 visiteurs en deux jours : c’était la Route du Champagne en fête aux Riceys les 26 et 27 juillet.

Étienne Bertrand, vous présidez l’association de vignerons Cap’C qui organise la Route du champagne en fête. Comment cette fête est-elle née et s’est-elle transformée pour devenir « le plus grand événement œnotouristique de toute la Champagne » ?

« Je n’étais pas là au départ. C’est la génération de nos parents qui a insufflé cette idée de promouvoir le champagne de la Côte des Bar par le biais d’un événement annuel récurrent. Pour les 30 ans de cet événement, l’été dernier, nous avons fait réaliser un film documentaire qui retrace son histoire.

Si nous revenons en arrière, il se trouve qu’au début des années 90, le contexte économique est tendu pour la filière champagne. C’est Béatrice Richard, vice-présidente du Syndicat général des vignerons et de la chambre d’agriculture, qui fait bouger les choses. Elle convainc le Département de faire une Route touristique du champagne, avec une signalétique sur toute la Côte des Bar et Montgueux. Une fois cette signalétique mise en place, se pose la question d’animer ce circuit. Et c’est là que la Route du champagne en fête voit le jour : les 1er et le 2 juillet 1995, 32 villages et 162 caves ouvrent leur porte au grand public. La majorité des visiteurs étaient des locaux ou des habitants des départements limitrophes. L’idée était d’aller à la rencontre de ces vignerons et de déguster leur champagne. Une première association a été créée dès 1996 pour l’organisation annuelle de l’événement : l’APVC, l’Association de promotion du vignoble champenois. »

Cette 1re fête en 1995 a été un flop ?

« Ce n’était pas du tout la grosse affluence. Mais Rome ne s’est pas faite en un jour. Les vignerons étaient contents d’avoir fait quelque chose ensemble. Alors oui, beaucoup ont fini par faire la fête entre eux, mais le plus important c’était de l’avoir fait ensemble et d’insuffler quelque chose de nouveau. C’était un réel défi à l’époque : on parle de constituer un groupe de vignerons qui sont tous des entrepreneurs indépendants, et de les convaincre de l’intérêt de jouer collectif. Les premières éditions, il y avait deux dates : une pour le Barséquanais, une pour le Barsuraubois. Puis, l’APVC a pris la décision de découper la Côte des Bar en huit secteurs, permettant aux vignerons de n’être sollicités qu’une fois tous les huit ans. Cela permet aux vignerons d’avoir le temps de se préparer et d’améliorer l’organisation sur leur cave. »

Comment est née l’association Cap’C ?

« En 2012, Pierre-Éric Jolly, président de l’APVC, qui avait succédé à Béatrice Richard, et Jean-Pierre Vézien, président de la Maison de la vigne, décident alors de fusionner pour créer Cap’C permettant d’inclure une approche et un regard sur l’histoire locale. En 2018, on monte le projet d’un livre La Côte des Bar, Histoire des terroirs et des hommes par les historiens Claudine et Serge Wolikow. On y découvre le rôle déterminant de Gaston Cheq et des vignerons aubois dans la construction de l’aire d’appellation d’origine contrôlée. L’ouvrage a été publié en 2022 en français et en anglais. C’est devenu un livre référence sur notre histoire, et qui permet de la faire découvrir au-delà de la Champagne et au-delà de nos frontières. »

Qu’est-ce qui change avec Cap’C ?

« L’affluence et la notoriété grandissantes de l’événement ont fortement contribué à ce que les choses changent. Quand on accueille des gens qui viennent du monde entier, il faut se mettre au niveau et proposer un événement de plus en plus qualitatif. Notre site internet est devenu le pilier de notre communication. En plus des tickets de dégustations, le pass est devenu aussi une vitrine pour le secteur en fête. Chaque cave y présente son domaine et la cuvée proposée en dégustation. Cela permet aux visiteurs d’en savoir plus. Avec Cap’C, la communication est devenue plus structurée. On fait appel à une attachée de presse qui nous permet de nous adresser à la presse nationale, ou de nouer des partenariats de qualité avec Gault&Millau ou la Revue des Vins de France. Aujourd’hui, l’association que je préside depuis 2018 navigue entre 250 et 280 adhérents chaque année. Nous sommes 30 au conseil d’administration, avec dix membres de droit et 20 membres élus représentant chacun des huit secteurs. Cap’C a son bureau ici à Bar-sur-Seine, au sein du SGV qui nous accueille. Nous sommes un interlocuteur essentiel dès qu’on parle promotion du champagne sur notre territoire. »

La dernière fête s’est déroulée aux Riceys les 26 et 27 juillet 2025. Certains ont parlé de 50 000 visiteurs… Quelle a été l’affluence réelle ? Et quel est le modèle économique de cette fête ?

« Il est difficile de mesurer avec précision le nombre de visiteurs. Aux Riceys, nous avons accueilli 25 000 à 35 000 personnes. Ce qui est déjà une belle jauge. Nous ne cherchons pas à battre des records d’affluence. Notre vision à Cap’C a toujours été de continuer à bien accueillir nos visiteurs, et donc de rester un événement à taille humaine. Sur le modèle économique, c’est assez simple : la fête est financée à 95 % par la vente de pass, et à 5 % par nos partenaires historiques. Sur l’édition 2025, nous avons vendu 12 800 passeports à 40 €, ce qui fait une recette 512 000 €, sur laquelle il faut retirer la TVA, les impôts, les dépenses liées à l’organisation et la communication. Cette recette est partagée entre Cap’C et l’association du secteur qui accueille la fête. Le secteur peut garder sa part de bénéfice pour d’autres actions collectives. C’était le cas en 2015 où l’APVC des Riceys avait décidé d’installer des flûtes géantes en inox dans le village, de financer trois pages dans la Revue des Vins de France, et de lancer le projet de Site remarquable du goût. C’est exemplaire, car on reste sur une promotion durable, et pas sur du business direct. Cette année, nous avons déployé un budget d’environ 300 000 €. Il faut déjà compter presque 35 000 € de dépenses rien que pour les sanitaires. »

Cette fête est-elle utile aux vignerons dont la plupart vendent facilement leurs bouteilles ?

« Ce n’est pas une bonne réflexion. Moi, vigneron, quand je participe à cette fête, je suis fier d’accueillir des Japonais dans mon petit village de Bagneux-la-Fosse avec 180 habitants. Je suis fier de placer mon village au centre de la Champagne le temps d’un week-end. Rien que pour ça, je me dis : « il faut y aller ». »

Connaissez-vous votre public, celui qui vient déguster ?

« Grâce aux achats en ligne, 7 000 cette année, nous avons collecté des données fiables. On sait d’où vient le public, pourquoi, comment. Sur l’édition 2025, nous avons pu constater qu’il y a eu 40 % de nouveaux visiteurs. Autre donnée importante : 35 % du public a entre 24 et 39 ans, ce sont les consommateurs de demain. Mais les chiffres qui nous font le plus plaisir sont ceux de la provenance : 45 pays différents, cinq continents, et l’intégralité des 98 départements français représentés. »

Cette fête est-elle devenue un vecteur de communication exceptionnel ?

« Oui, cela nous engage. Il ne faut pas décevoir tous ces gens-là qui viennent sur un événement champagne. On doit se poser en permanence la question de savoir si ce qu’on propose est à la hauteur. Ce qui fait aussi le succès de cette fête, c’est son côté rural, artisanal et sans direction artistique. Je dis souvent aux vignerons : « animez-vous comme vous êtes ». Il faut rester authentique, et préserver notre diversité. Les gens voient bien qu’on n’est pas à Disneyland. Ils voient que sur chaque domaine, il y a l’identité du vigneron. »

Au-delà de l’affluence record aux Riceys, connaissez-vous l’impact économique de cette fête, sur l’hôtellerie, les locations, les restaurants ?

« Selon les chiffres d’Aube en Champagne Attractivité, l’agence touristique de l’Aube, la fête multiplie par deux le nombre de visiteurs à la journée et par plus de trois celui des nuitées. On sait aussi que tous les logements du territoire sont réservés un an à l’avance et affichent complet. »

Comment expliquez-vous ce paradoxe entre cette fête à forte audience et l’absence des maisons auboises dans les Trophées de l’œnotourisme décernés par Atout France et Terre et vins ?

« Je sais que le champagne Gremillet a déjà été primé. Et quand nos maisons concourent, elles remportent des prix, que ce soit au Salon de l’agriculture ou aux Trophées champenois où le champagne Marcel Vézien et le champagne de Barfontarc ont déjà été primés. J’étais aux Assises de l’œnotourisme à Troyes en mars dernier, où j’ai présenté le modèle de notre fête. L’œnotourisme est devenu une vraie filière de développement pour la Champagne, en particulier dans la Marne où les initiatives de vignerons se multiplient. La synergie n’est pas tout à fait la même dans l’Aube. Mais je suis convaincu qu’il y a une offre à construire entre le patrimoine exceptionnel de Troyes et une excursion dans la Côte des Bar. Les difficultés de mobilité et l’absence d’un restaurateur étoilé sont deux cailloux dans notre chaussure. Mais si notre fête a un tel succès, c’est peut-être aussi parce que l’œnotourisme sur la Côte des Bar reste embryonnaire. L’association Cap’C a candidaté cette année, aux Trophées de l’œnotourisme. »

La fête aux Riceys en juillet dernier a célébré les 10 ans du label Patrimoine mondial de l’Unesco « Coteaux, maisons et caves de Champagne ». Ce label Unesco fait-il venir les touristes ?

« Ce classement Unesco engage les vignerons. C’est une fierté et c’est bien rentré dans les esprits. Si vous vous placez en tant que touriste, quand vous passez à 50 km d’une destination Unesco, vous faites le détour. Un des moments forts de la fête aux Riceys a été la mise en valeur du point de vue panoramique et la lecture du paysage vertical de la vigne. »

24 caves ouvertes en 2026

La Route du Champagne en fête revient les 1er et 2 Août 2026 sur le secteur « Rive droite de l’Aube » avec pas moins de 24 caves qui ouvriront leurs portes dans dix villages : Argentolles, Arrentières, Bar-sur-Aube, Colombé-la-Fosse, Colombé-le-Sec, Rouvres-les-Vignes, Saulcy, Voigny, Colombey-les-Deux-Églises, Rizaucourt-Buchey, toutes deux en Haute-Marne. « Cela fait plus de 10 ans qu’on n’a pas eu plus de 20 caves. Sur ces 24 caves qui seront ouvertes, un tiers n’a jamais participé », se félicite Étienne Bertrand. L’association Cap’C qu’il préside a décidé de modifier les conditions d’entrée. À partir de l’an prochain, la présentation d’un bracelet sera nécessaire pour profiter de la fête au sein des caves. Deux options seront proposées. D’une part, le pass dégustation qui comprendra le bracelet, le porte-flûte, la flûte millésimée et le carnet de dégustation (45 € en ligne / 50 € sur place). D’autre part, le pass accompagnant avec bracelet, porte-flûte et flûte générique (15 €). Attention : seul l’achat d’un pass dégustation donnera le droit à l’achat d’un pass accompagnant. « On ne rentre pas dans un festival sans payer. Les gens qui viennent sans pass profitent de tout ce qui est mis en place : les animations, spectacles, la décoration, les toilettes, le petit train, la sécurité etc. », justifie Étienne Bertrand.

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